-Cette fois c’est toi qui me rassure. Ok, bon mais ce n’est pas le sujet. Je ne peux pas te dire grand-chose de plus sur notre histoire. Quant au fait qu’il revienne, là on peut en discuter. Et se prévenir, peut-être,
-Oui ce coup-ci il faut empêcher ce brouillard qu’il peut mettre autour de vous, de nous plutôt puisque, hier, il m’a envoyé, à moi aussi, le messager. Qu’est-ce que tu entends par se prévenir ?
-Oh c’est juste pour partager les infos afin qu’il ne nous surprenne pas parce que nous ignorons ce qu’il a dit ou fait aux autres. C’est drôle que tu sois dans le circuit, y a un truc qui m’échappe quand même. Tu ne l’as jamais rencontré que je sache,
-Ben non, ou alors je l’ai vu sans savoir que c’était lui. Par contre il est certain que lui me connaît, mais je ne sais pas très bien comment. Sûrement au moment où j’ai fait la connaissance de ta mère, puisqu’il était lui aussi dans le secteur. Pourtant je me suis beaucoup promené avec elle et elle n’a jamais semblé reconnaître quelqu’un. C’est vrai qu’elle marchait la tête baissée pour surveiller ses pas,
-Oui il te connaît sûrement et le fait que ce soit toi qui as reçu le messager veut bien dire que tu es en première ligne. Qu’est-ce que tu proposes ?
-D’abord je crois que je vais rentrer à la maison, ensuite je vais réfléchir, enfin il faudra sûrement que je voie ta mère. Comme tu peux le constater c’est pas un programme guerrier, en tous cas pour le moment. Bon on peut quand même se dire que l’on se prévient si… si quoi au fait ? oui pour commencer il faut échanger sur la moindre inquiétude, même si c’est un peu prématuré, pour éviter qu’il puisse se retrouver seul avec l’un d’entre vous, de nous quoi. Évidemment le risque c’est que notre vigilance s’émousse s’il ne se passe rien à chaque fois que nous nous mobilisons. Mais nous évaluerons ce risque au fur et à mesure, en espérant que ça ne dure pas trop longtemps quand même,
-Bon ok, mais il faut que je prévienne maman et les sœurs, je sais quoi leur dire, mais pour le résultat je ne sais pas trop quelles seront leurs réactions, enfin surtout Taqui,
-Si ta maman est là, je pourrai peut-être la voir tout de suite,
-Oui elle est sortie faire une course et doit revenir.
Effectivement au même moment Vienna rentre et vient nous dire bonjour. Nous buvons un sirop et en lui demandant de ses nouvelles je lui dis : est-ce que je pourrais vous parler cinq minutes ? Elle répond :
-Bien sûr allons dans la salle à manger nous serons tranquille,
-Je ne veux pas vous déranger, mais compte tenu des évènements, pourriez-vous me parler de votre ancien mari,
-Oui pourquoi pas, je le fais d’autant plus volontiers qu’il m’a semblé trouver en vous une pensée assez compréhensive. En tous cas suffisamment pour pouvoir évoquer des notions assez subtiles que les hommes en général ne saisissent pas,
-C’est peut-être un peu hâtif mais je vous remercie de votre confiance,
-Comme évènements vous pensez à sa présence autour de nous ?
-Oui il était là il y a peu et il semble vouloir revenir prochainement, si ce n’est déjà fait,
-Je peux vous parler de cette présence que vous évoquez assez tranquillement. En fait c’est plutôt insupportable le mot qu’il faudrait utiliser. Pour moi il y a un mystère dans la pression qu’exerce cette présence. D’abord vous ne pouvez pas comprendre comment les femmes vivent dans une ombre, dans une enclave sans barreaux, mais dont on ne peut s’échapper. Pas uniquement l’ombre de leur conjoint mais surtout la couverture sociétale, le partage complètement arbitraire des rôles, des histoires et des devenirs. Vous savez, les femmes ne font pas partie de l’humanité. Elles vivent dans un sous-monde, l’île sous la mer inventée par les esclaves. Île aux frontières glissantes et dangereuses. Pourtant ce sont elles qui génèrent, qui font, qui construisent l’humanité, enfants après enfants, une humanité dont elles ne font pas partie. Elles naissent femmes et sont conduites au fil des ans sur le chemin de la différence et de l’exclusion pour s’établir, se cantonner dans l’espace délimité qui leur est attribué. Le monde se déroule autour de cet espace sans qu’elles puissent y intervenir,
Michel Costadau
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